SOLEIL VIOLET

#SOLEIL_VIOLET

Nous sommes dans le Mbeng des années 80 (la France) . 1983 pour être un tantinet précis. Depuis 2 ans déjà, Il souffle comme un vent d’espoir et du tout possible dans cette France singulière de différences. Pour la première fois de leur histoire, un homme issu du parti socialiste est élu président de la république française. François Mitterrand conduit la destinée du pays des droits de l’Homme, de la révolution de 1789, de Mai 68, de la lutte des classes dans une France plus que jamais cosmopolite.

J’étais petit, mais je me souviens encore les scènes de joie et de liesse suscitées auprès de mon père et de ses amis étudiants africains durant ce soir d’élections du 21 Mai 1981. Je ne comprenais rien à cette débauche d’ivresse, mais mon père m’avait pris dans ses bras pour fêter « la victoire » et cela me suffisait amplement pour partager l’euphorie, l’exaltation, l’exultation et le contentement qui transpiraient et transparaissaient de manière vive au travers des yeux fiers mais peut-être naïfs de mon père… De ce souvenir je ne retiens que ce bon moment, le reste… pffff ! on connaît la suite.

Mais l’objet de mon post n’est pas lié à ces événements de la vie politique française, ce serait trop ennuyeux et je ne m’y connais pas assez pour en faire un sujet attrayant, comique et ludique où le Mounanga lambda pourrait se reconnaître.

Retenez juste ceci. Nous sommes en 1983 à Mbeng, j’ai 4 ans et mon p’tit frère en a 3 – je vois déjà les gens faire des opérations mentalement pour calculer mon année de naissance – ne vous fatiguez pas c’est 1979. Maman nous conduisait comme tous les matins à l’école Charles Péguy, située non loin de notre cité dortoir, sise au quartier Beffroi, rue de Tourcoing. Deux petits « nègres » à la coiffure afro, vêtus à l’identique genre qualité-qualité, et leur maman, sublime gazelle élancée, couleur ébène à la crinière de laine, dévalaient joyeusement la rue qui nous menait vers nos initiations ludiques au « savoir ». Nous sommes heureux de retrouver nos compagnons de jeux et de classe de la maternelle, son immense cour, les bacs à sable et la piste de course circulaire où nous nous essayions, durant la récré à imiter Carl Lewis (l’équivalent d’Usain Bolt pour les plus jeunes) dans des slaloms effrénés.

J’ai une maîtresse blanche, des camarades blancs, et aussi loin que je puisse fouiller dans les tréfonds de mes boîtes et tiroirs poussiéreux de mes réminiscences et évocations, je n’ai jamais ressenti un quelconque malaise, une quelconque discrimination ou même vécu ne serait-ce qu’une situation m’ayant poussé à m’interroger, à me confronter ou qui m’aurait mis en porte à faux avec ma différence durant cette période. Je n’avais pas conscience de ma couleur de peau, de mes cheveux crépus, de mon père et de ma mère noirs, et quand j’y repense cela explique sans doute pourquoi je ne saurais vous dire si à part mon frère et moi il y avait d’autres petits êtres du même acabit, du même phénotype, en gros des semblables, des frangins blacks, mêmes pareils dans mon école.

Au contraire j’avais mon ami caucasien (le watara, le white), dont je me rappelle toujours le prénom et le nom : Pierre Bourdon. Il avait toujours des m&m’s et des carambars, ce qui expliquait son embonpoint de l’époque. Le pauvre, à chaque fois il se persuadait qu’il pouvait me battre à l’épreuve de course. Ça en devenait presque une obsession. C’était le portrait tout craché de M. Bourdon, du coup comme son père était gros, dans mon raisonnement d’enfant il était normal que Pierre Bourdon le soit aussi, parce qu’on est tous sensé être à l’image nos parents. Ce n’était donc pas pour moi un sujet de moquerie, c’était juste comme ça. Il y avait des gros, des moins gros, des maigres, et des très maigres.

Mon frère, lui, avait 2 amoureuses, des blanches aussi (l’affaire des Ngas là c’est vraiment depuis l’enfance), Aurélie et Bénédicte, mais c’est cette dernière qui avait fait le premier pas en l’embrassant sur la joue. C’était elle la titulaire. Une jolie petite blonde aux yeux bleus et aux boucles d’or parfaites. Nous ne nous considérions pas comme des élèves noirs parmi des élèves blancs, mais juste comme des élèves… tout court.

À croire que les enfants, avant d’être pollués par la bêtise des Hommes et ses frasques, sont beaucoup plus avisés que nous les « grands » sur ces questions du vivre ensemble. Tout simplement parce que pour les mounas, ces interrogations n’existent pas. Elles ne sont même pas en gestation, ni même en hibernation, ni même latentes, elles ne sommeillent nulle part, elles ne sont encore moins ni en dormance, ni en pleine germination. Il n’existe aucun sous-entendu au sein de leurs pensées frêles et pures comme l’amour qu’ils nous portent. Les enfants sont des terres saines en friches ensemencées juste de graines d’amour qui plus tard seront malheureusement envahies de mauvaises herbes vivaces nées des vents et des oiseaux de mauvais augures porteurs de semences aux énergies létales et destructrices qui empêcheront leur champ d’amour de s’épanouir, de fleurir et de donner des fruits savoureux et goûteux, destinés au partage.

La question de la couleur et de notre différence est arrivée bien plus tard, lorsqu’il avait fallu faire comprendre à mon cadet qu’il n’avait pas à ramener sans arrêt sa tête en arrière ou passer sa main dans ses cheveux comme le faisaient nos amis blancs, tout simplement parce qu’il ne possédait pas de frange, ni de mèches rebelles. Cette révélation eut l’effet d’un cataclysme, mon p’tit frère était triste à l’idée d’être différent, de ne pas être comme les autres, avec la peur de ne pas être accepté. Mais maman et papa avaient su trouver les mots pour lui faire comprendre que ce n’était pas une tare, mais plutôt une richesse, et qu’il avait malgré tout sa place dans ce monde. Papa lui avait dit à peu près ceci : « Tu aimes Michael Jackson ? Et bien il est noir comme toi. Malgré sa couleur, les blancs comme les noirs adorent sa musique, tu vois que ce n’est pas triste d’être noir ». (Je parle du Michael Jackson des années 80, pas le ngôngô qu’on a connu après).

Mais Bref ! Ce qui m’emmène à vous parlez de cette période de mon enfance est à la limite anodin. Mais c’est en tombant par hasard sur mes anciens dessins d’enfant et travaux d’éveil que je réalisais à la maternelle que j’ai revu mon « soleil violet ». Non non non, vous ne vous trompez pas, vous lisez parfaitement, j’ai bel et bien écrit « soleil violet ».

Mon soleil violet était mon identité, mon identifiant, le signe distinctif par lequel j’étais identifié. En effet, chaque élève se devait de dessiner, marquer sur sa feuille, son bricolage, sur sa chemise cartonnée… le pictogramme ou idéogramme que l’on avait nous-mêmes pris le soin de choisir. Et donc le mien était un soleil violet. Pourquoi ? Je ne saurais vous le dire. Mais tout ceci m’emmène à réaliser que la perception des choses et des possibilités qui s’offrent à nous est totalement suggestive, parfois irrationnelle, elle nous appartient, émane de nos MOI internes. Quelle idée d’avoir comme symbole un soleil violet ? Pourtant les conventions voudraient qu’il soit jaune, or, ocre, à la limite orange. Néanmoins, la puéricultrice n’a jamais essayé de m’influencer ou de m’emmener à reconsidérer la couleur de mon astre. Au contraire… cela faisait ma particularité, ma différence, ma singularité, sans que ça ne puisse heurter ou me faire passer pour un marginal.

Le monde décide de ce qui est bon ou mal pour nous, de ce qui est juste et injuste, de ce qui est vérité et mensonge, de ce que nous devons manger, porter, boire, de ce que nous devons accepter et rejeter. Il nous impose d’avoir cette vision manichéenne exacerbée et tranchée qui ne fait plus place à l’altérité. Le Monde prêche pour une vision et pensée unique, malgré un village planétaire striés et lacérés par des frontières à la fois physiques et idéologiques témoins de ce paradoxe : «Pense comme moi, assimile toi à moi, consomme moi, mais tu n’es pas digne de moi ».

Conscient de cette supercherie, cette imposture savamment orchestrée, je me refuse de compromettre ma différence, mon originalité, ma particularité pour ne pas fondre dans ce magma d’uniformité qui nous consume, et nous ronge au point de ne plus exister, de ne plus être cette excentricité sensée nous démarquer et en même temps nous unir. Qu’on ne se trompe pas, fusion et symbiose ne naissent pas de l’homogénéité mais de la diversité. Le monde est trop grand pour croire que tu n’as pas ta place. Trouve-là, mais sans te corrompre et te travestir. Comme moi, tu es peut-être un soleil baroque, saugrenue ou même étrange, mais tu restes tout de même un astre. Moi j’ai mon soleil, et il restera violet. Car si je le change, comment la maîtresse saura-t-elle que ce dessin est de moi ?

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Marlyn Nto
Concepteur de ausolmounanga.com

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