Il était… environ 13 heures, j’avais une faim de chien errant, jadis domestiqué, puis abandonné sur la route du cap, et qui jure qu’il retourne chez ses maîtres. Le genre de faim où tu deviens nerveux, peu importe ce qu’on peut te dire, ce qu’on peut te faire, tu ne peux plus rien dire, tu ne peux plus rien faire. Ton seul problème dans le monde mondial de l’univers tout entier, c’est juste manger, bèlê, gnama… te mettre à l’aise. J’ai donc arrêté mes activités et je suis allé vite vite me chercher de quoi assouvir mes appétences un peu trop prononcées mais justifiées (vue l’heure).
Non loin de mon lieu de travail, on a une maman là, une « cam », Mama vivi, une camerounaise, et elle fait un poisson brEzeu « maggique » (néologisme culinaire de la famille de l’arôme maggi), magnifique, en plus d’être magnétique. J’ai fais ma commande, et je me suis posé dans son hangar couper-clouer, composé de quelques tôles noircies par la fumée, et de quelques bancs usés, avec l’intention d’honorer mon plat sur place, pas le temps de faire emporter.. Je me suis même imaginé les nombreux bodges qui avaient sûrement contribué à l’usure de ces bancs et les pets magistraux parfumés au méthane qui y avaient été lâchés silencieusement (je sais, je suis biz’).
Mama vivi, pour dire vrai, je ne lui avais jamais, jusqu’à aujourd’hui, accordé une réelle attention particulière. Je me suis toujours contenté d’être poli, courtois, de lui dire bonjour, de lui préciser le… « mets tout sauf la moutarde », de lui dire merci… sans plus.
J’ai toujours vu en elle qu’une dame qui fait un nerveux poisson assaisonné jusqu’aux os, avec sa sauce aux condiments verts uniques et qui me rappelle les artères joyeuses de Douala, de la Rue Princesse ou de notre regretté Boulbess, notre boulevard des Champs-Elysées, sacrifié sur l’autel de l’émergence.
Et pendant qu’elle se plaignait de sa cliente marocaine qui n’était toujours pas passée récupérer sa commande faite depuis plus d’une heure déjà, tout en notant au passage « qu’après on dira que ce sont les africains qui ne respectent pas l’heure ». Moi dans mon bouloualou plus plus que de lui faire la remarque que les marocains sont aussi des africains. Et elle de me répondre avec cet accent si caractéristique du pays de Biya : « c’est pas ils ong la peau blan-cheu nong ». J’ai ri pour cent-mille, en ratant in extremis d’avaler une arrête. Et naturellement, presque sans m’en rendre compte nous avons entamé la conversation. Du moins, elle s’est mise à me faire la conversation, je n’ai juste eu qu’à l’écouter.
Cette FEMME m’a touché, m’a subjugué, m’a ému, m’a illuminé, transporté, emporté dans son univers le temps de quelques bouchées de tilapia en me racontant son histoire, du moins une infime partie, sans vraiment la dévoiler, sans vouloir que je m’apitoie sur son sort, sans tristesse ni regrets, l’âme ouverte, avec une sincérité dénudée, presque irréelle sans cet arrière goût âpre de désenchantement que la vie, cette garce insoumise, peut nous laisser.
Elle était là, parfumée à la braise mais aux effluves somptueuses, crasseuse mais immaculée par la noblesse, échinée par le poids du vécu mais dressée, le corps érodé par le temps, écorchée mais vivante, fière de son parcours et ne se plaignant en aucun cas à la bonne fortune. Au contraire elle se considérait privilégiée parce qu’elle avait toujours eu ce don de ne jamais se laisser dompter par le découragement. Car même après les décès tragiques de son père et de sa mère, son certificat d’étude primaire en poche, et recueillie par son oncle riche, elle avait pardonné à ce dernier qui n’avait pas jugé utile de lui permettre de continuer ses études sous prétexte que cela lui coûterait trop cher. Et ce malgré le fait qu’elle le voyait offrir des voitures à ses « wolowoss » (femmes légères et intéressées). Et ce malgré le fait qu’il l’avait affecté à la gestion de sa boutique moyennant 5000 malheureux francs CFA l’année, sans se soucier de lui assurer un avenir, si ce n’est de le servir.
La pudeur et la réserve m’invitent à m’arrêter là, à ne pas m’étaler, à ne pas en dire plus. Mais ce que je retiens de cette belle rencontre, ce n’est pas le poisson, non, mais l’image d’une FEMME accomplie, digne, aimante, humaine. Mama Vivi est peut-être loin des critères de réussite qui nous sont exposés, imposés par cette société kleenex et sopalin, aux valeurs saupoudrées de clinquants éphémères, mais elle demeure pour moi cette idée que je me suis toujours faite de nos mères, de nos épouses, de nos sœurs. Elle a réincarné en moi l’admiration que j’ai pour toutes ces femmes dévouées, revêtues et parées de ces vertus exquises et élégantes à mille lieu de ces robes Chanel et colliers de pierres précieuses. Ces femmes belles et acharnées, fragiles et déterminées, à la fois lionnes et gazelles, flamme et douce brise, femmes de feu et de braise, femmes qui se soumettent et se dérobent parce qu’elles s’appartiennent d’abord avant de nous offrir le Monde…
FEMMES… JE VOUS AIME.
Marlyn Nto
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