LE DON – LA PRISON (PARTIE 1)

Mounanga crachait du sang mêlé à sa salive qui avait pris un ton rougeâtre. La gifle du brigadier Tonnerre avait envoyé valser sa tête de la droite vers la gauche, qui était ensuite revenue en position initiale, laissant au passage une molaire cariée sur le plancher. Mounanga était complètement tétanisé, la cadence effrénée de son cœur aurait pu faire exploser sa cage thoracique. La tempe endolorie, la mâchoire écrasée et son œil gauche mortifié par la brûlure, Mounanga cru un instant avoir perdu la faculté de son globe oculaire. Des spots lumineux flottants dans son champ de vision s’étaient comme éparpillés après le flash qui l’avait ébloui de tout son éclat. Les retours sonores de la pièce se confondaient en sifflements aigus dans le creux de son oreille : « Tu as caché l’argent où ? » vociféra le colosse postillonnant face au visage déjà tuméfié de notre apprenti chimiste. On pouvait apercevoir une large paume estampillée sur son profil gauche marqué du sceau du calvaire qu’il endurait depuis déjà 30 minutes dans les locaux de la police judiciaire.

Mounanga tenta une réponse embourbée dans un balbutiement inaudible entrecoupée par des hoquettements sporadiques semblables à des à-coups incontrôlés qu’on peut observer sur une mécanique défaillante. À peine s’essaya-t-il de répondre, qu’une seconde claque magistrale s’abattit sur lui telle la foudre. Mais cette fois-ci du côté droit. Imprimant des éclaboussures ensanglantées sur la main gauche de son bourreau, sur son avant-bras, sa chemise et sur le carrelage de cette salle des tortures située dans les sous-sols de la P.J.

Mounanga perdit tout de suite connaissance, la symétrie imposée par ces deux cymbales d’une rare violence le plongea dans l’obscurité la plus sombre : « hum ! Qu’est ce qui pue comme ça ? » Interrogea le brigadier Tonnerre en direction des deux agents qui étaient chargés de maintenir solidement le captif sur sa chaise à supplices durant l’interrogatoire musclé.

Mounanga inconscient, les yeux clos, la tête penchée vers l’avant, le menton collé sur son torse, un filet de bave vermeil s’échappant de ses lèvres boursouflées, « le rhume au nez », les poignets menottés derrière son dos, torse nu, pied nu, et affublé d’un simple caleçon, venait de déféquer sur lui toute sa merde mêlée aux urines qui se mariaient aux déjections qui avaient échappé à son contrôle. Le stress, la peur et l’épouvante déchaînés par son châtiment, l’avaient transporté dans les profondeurs de l’humiliation : « Le salaud ! Il a même fait caca sur lui. Ramenez-le en cellule ! Et n’oubliez pas de lui verser un seau d’eau glacée pour qu’il reprenne connaissance. Des petits voyous comme ça… »

Mounanga se réveilla en sursaut en hurlant et criant aux ancêtres l’atrocité qui le persécutait. Le contact de l’eau glacée sur sa peau lui donnait la sensation d’être charcuté par de multiples lames acérées. Son retour à la vie n’avait rien de salutaire, au contraire, il était en enfer. Des rongeurs, des moustiques et des cafards d’une autre espèce, et d’une immensité anormale, partageaient la cellule avec les autres détenus aux mines patibulaires. Leurs gueules décrépies étaient la façade même du monde de la délinquance et de l’immoralité. Le décor austère qui l’accueillait transpirait l’horreur, transpirait les odeurs de pisse et de matières fécales fermentées qui agressaient ses sinus. Il grelotait, à la fois d’effroi et de froid, recroquevillé en position fœtale, la tête enfouie dans ses bras, ultimes remparts justifiant ce geste instinctif mais vain sensé protéger son visage : « Debout ! Espèce de voleur… » Cria le geôlier, dont le regard impressionnant jetait des éclairs à l’endroit du faussaire. Mounanga s’exécuta, en allant se réfugier dans un coin de la cellule, les jambes encore toutes flageolantes. C’est à peine s’il tenait debout.

La pièce, elle, n’était pas éclairée. Seul un faisceau lumineux s’échappait d’un lampadaire planté dans la cour du commissariat, et avait réussi à s’introduire par la petite fenêtre dérobée située en hauteur et qui donnait sur le parking privé. Il faisait nuit. Dans la geôle se trouvait une belle brochette de personnages abonnés aux faits-divers. Véra, une métisse cramée au chanvre et son ami efféminé Marco, dont le seul crime de ce dernier avait été de prendre la défense de sa combi en fracassant une bouteille sur la tête d’un agent des forces de l’ordre pour venir à bout du forcené qui avait tenté de la violer. Chantaco, la go galaxie, une péripatéticienne du bord de mer qui avait sectionné sans ambages le bangala de son client pour refus de paiement. Et Diallo, le chef cuistot, dont les pratiques culinaires insoupçonnées lui avaient valu cette incarcération. Durant 5 ans, il avait envoûté ses patrons avec son sperme comme condiment, en éjaculant dans les plats qu’il leur préparait avec grand soin.

Hommes et femmes confondus, tous reclus dans cette pièce infecte de 9 mètres carrés, ils étaient tous logés à la même enseigne, parqués dans cette cage qui les privait de leur liberté à tort ou à raison. Le peu de lucidité qui vacillait encore dans le ciboulot en feu de Mounanga, lui fit réaliser la gravité de sa situation. Il était foutu.

****
Mounanga s’était fait alpagué chez sa vieille rombière, Ya Mado, où il avait trouvé refuge. Une femme d’un certain âge relativement bien conservée, mais qui n’avait pas arrêté de « faire la vie ». Son fessier imposant était l’attraction majeure de ses clients. Elle tenait une échoppe dans les P.K où des vieux papas « cirrhosés » venaient flirter avec la mort parfumée aux fragrances mentholées et alcoolisées qui constituaient le cocktail sirop de menthe et whisky frelaté qui y était servi. Elle vendait des « doses », une mort au rat qui empoisonnait le foie de quiconque s’abreuvait de cette liqueur abjecte.

C’est dans la chambrée de la cougar, située dans son arrière boutique, que l’expédition punitive avait eu lieu. Mounanga et sa matèr avaient été surpris en plein ébat. Cinq agents de la police judiciaire, l’arme au poing avaient fait irruption dans leur nid de perversion. Ils avaient procédé à la fouille des lieux en laissant la pièce sans-dessus-dessous. Tandis que nos deux tourtereaux, étaient embarqués à moitié dévêtus, menottés et jetés tels des bovins en route pour l’abattoir dans le véhicule bâché qui les menait tout droit au 9 étages. Ya Mado avait été tout de suite relaxée, grâce à ses multiples connaissances en au lieu. Et Mounanga encore abruti par la rapidité avec laquelle on l’avait déniché, était loin de s’imaginer le sort qui lui était réservé.

C’était Copine, en rentrant de ses bricoles, là-bas dans les beaux quartiers, qui avait alerté Tonton Nicaise. Elle avait trouvé un mot truffé de fautes d’orthographe sur le matelas émoussé de la chambre où se trouvaient encore les papiers journaux en forme de liasses et les sachets plastiques noirs en lambeaux: « Copine je soui parti di a tonton nicaise pardon je nè pa fè essprè je tèm » avait-il d’inscrit sur la note d’adieux. L’incompréhension et la panique l’avaient tout de suite poussé à appeler l’Onclo. Apparemment lui seul était capable de lui donner des explications susceptibles de l’éclairer sur cet imbroglio aux accents prononcés de mystères.

Sans le vouloir, Copine avait provoqué l’ire de Tonton Nicaise, ainsi que la déferlante de violence et des chefs d’accusations injustifiés qui s’abattront plus tard sur son homme. L’honorable l’avait rassurée en lui promettant qu’il ferait tout pour retrouver son amoureux disparu : « Ne t’inquiète pas, on va retrouver ton mari, c’est juste un petit malentendu que nous avons eu entre lui et moi, il n’y a rien de bien grave » lui avait-il signifié en guise d’apaisement. Le député s’était retenu, il avait gardé son sang froid afin de n’éveiller aucuns soupçons. Il fallait agir vite avant que Copine ne se rende aux autorités signaler la disparition de notre contrefacteur, et que l’affaire n’explose au grand jour. Sa paranoïa lui avait même suggéré que Copine était forcément de mèche avec son crétin de neveu. Ce n’est qu’une fois la conversation terminée qu’il entra dans une colère noire : « le cancre, il a osé m’arnaquer. Moi l’honorable Nicaise ? On va voir ça, ça va chier des bulles sans savon ». Sans perdre de temps, il avait mis la P.J aux trousses de Mounanga, tout en précisant au commissaire Simplice chargé de l’enquête et qu’il venait de contacter, la nécessité de rester discret sur cette affaire qui pouvait lui être préjudiciable. Le motif de sa plainte était clair, il avait été victime d’un vol qualifié orchestré par son imbécile de neveu Mounanga. La version officielle stipulait qu’une somme de 4 millions de F.CFA avaient été remises en main propre à sieur Mounanga par l’honorable député Nicaise, pour l’achat de matériels destinés à la construction de sa villa de Tchibanga et que l’indélicat une fois la somme perçue, avait pris la poudre d’escampette.

Durant 24h, tous ceux qui avaient été en contact de près ou de loin avec Mounanga, furent convoqués et entendus dans le bureau du Commissaire Simplice. Toute la ruelle de Jérusalem était passée au crible. Copine, Mama Rose la pointue, le vieux Ondo, Champi Kilo le barman et Ya Jean. Tous avaient été cuisinés, questionnés, interrogés sur les faits et gestes de notre homme en cavale. Copine s’était effondrée, inconsolable à l’annonce des faits qui étaient reprochés à son homme : « l’enfant là va me tuer !!! » Avait-elle lancé désespérée avant de finir en larmes et de perdre quelque temps après connaissance . Même Mama Rose la pointue, l’affairée, cheffe bouloualou plus plus, n’y comprenait rien : « la vérité M. Le Commissaire même moi-même qui connaît tout dans le quartier, là ça me dépasse » avait-elle avoué impuissante, s’en voulant de ne pas avoir été assez vigilante : « Décidément je me fais vieille » Pensa-t-elle intérieurement. Seuls champi kilo et Ya Jean avaient un temps soit peu fait avancer l’enquête : « M. Le Commissaire, moi-même j’ai trouvé ça DE bizarre. La dernière fois il m’a donné 20.000 frs pour sa facture. 20.000 ! Insista-t-il. Pourtant d’habitude c’est un mauvais payeur…
– Tu as encore ces billets en ta possession ? Coupa immédiatement le commissaire.
– Ah ! Non hein M. Le commissaire, j’ai payé la boisson avec… pourquoi y a un problème ?
– Non non, juste que ça nous aurait servi de preuves.
– Mais… Pardon M. Le Commissaire, si vous l’attrapez… N’oubliez pas, il a encore les bons du vin chez moi. Il me doit 10 mille jusqu’à présent ». Profita-t-il, heureux d’exposer enfin son cas à des autorités dites compétentes.
Ya Jean avait été d’un meilleur apport. C’est lui qui avait mis les agents sur la piste de Ya Mado : « souvent, M. Le Commissaire, quand il a des problèmes avec madame, il va se cacher chez la vieille maman là. Elle a un faux maquis au P.K 12. Tout le monde la connaît. Vous ne pourrez pas la rater. » Ya Jean s’était saisi de cette bonne fortune pour ajouter son piment dans la sauce. Il possédait là, une occasion inouïe d’écarter son « rival ».

Oui, depuis toujours, il avait des vues sur la belle Copine qui n’avait de cesse de repousser ses avances, et les multiples manquements de Mounanga à son égard, n’avait rien fait pour arranger les choses. Il tenait là sa revanche, pourquoi devait-il se faire prier s’il pouvait asséner le coup de grâce ? Mounanga en prison, il avait dorénavant le champ libre.

Plus tard, de retour à ça m’étonne, en essayant maladroitement de consoler Copine, il n’avait pas hésité à revenir à la charge : « Tu as vu ? Depuis que je te drague… Oh mon gars oh ! Mon gars oh ! Voilà, ton gars c’est un voleur… » lui avait-il lancé. Replongeant ainsi Copine dans un sanglot interminable à en faire pâlir n’importe quel croquemort. Malgré tout, pour Copine, il y avait obligatoirement une explication. Elle connaissait son Mounanga, indiscipliné certes, mais jamais il n’aurait volé son oncle Nicaise, il lui avait maintes fois démontré sa loyauté. Que s’était-il réellement passé ? C’est la seule question qui lui taraudait l’esprit.

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Marlyn Nto
Concepteur de ausolmounanga.com

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